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Comprendre la crise budgétaire du conseil général de Seine-Saint-Denis

jeudi 9 juin 2011, par synper

Le 8 avril 2010, le Conseil général de la Seine-Saint-Denis a adopté son budget de révolte, inscrivant dans ses recettes une partie de la dette de l’Etat à l’égard du Département. « Le combat est donc lancé et j’entends que le gouvernement s’acquitte enfin de sa dette vis-à-vis des habitants de la Seine-Saint-Denis » a indiqué Claude BARTOLONE.

Pour les fonctionnaires du conseil général et les franciliens, comprendre cette situation financière et politique n’est pas facile. Cette compréhension est néanmoins nécessaire compte tenu de l’impact de cette crise dans les choix du département. Le SYNPER vous propose donc la lecture de deux "moments" explicatifs permettant de comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire sans que nous vous influencions politiquement. Notre syndicat est apolitique.

A - Une question parlementaire est l’occasion d’entendre le point de vue du Secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales.

Question écrite n° 13425 de M. Christian Demuynck (Seine-Saint-Denis - UMP) publiée dans le JO Sénat du 13/05/2010 - page 1197
M. Christian Demuynck attire l’attention de M. le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales sur l’urgence d’apporter une réponse, après le vote du budget du conseil général de Seine-Saint-Denis en déficit de 75 millions d’euros. Selon le président du conseil général, la dette de l’État à l’égard du département, qui s’élève à 640 millions d’euros, remonte à 2004, date de l’acte II de la décentralisation consacré aux transferts de compétences aux collectivités locales. Les incidences financières de ce transfert ont cependant été compensées à l’euro près. De plus, sur les 864 millions d’encours de dette, 97 % sont constitués d’emprunts toxiques. Ceux-ci ont d’ailleurs été contractés entre 2004 et 2008, période pendant laquelle les élus communistes ont dirigé conjointement avec les socialistes le conseil général de Seine-Saint-Denis. Il lui saurait gré de bien vouloir l’informer des éventuelles mesures qu’envisage le Gouvernement lorsque les collectivités territoriales ne respectent pas la loi et votent des budgets déficitaires.
Réponse du Secrétariat d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales
publiée dans le JO Sénat du 16/09/2010 - page 2425
À la faveur de la crise bancaire, des inquiétudes sont apparues sur les risques encourus par les collectivités ayant eu recours à des produits indexés sur des indices peu usités et aux évolutions non linéaires. Le conseil général de Seine-Saint-Denis a en effet souscrit à ce type de produits pour une part importante de son encours de dette. Conscient des risques encourus par les collectivités, et dans le respect du principe de libre administration des collectivités et de leur libre recours à l’emprunt, l’État s’est attaché à sensibiliser les élus des collectivités locales à ces problématiques et à favoriser le dialogue avec les établissements prêteurs à travers tout d’abord, la signature d’une charte de bonne conduite le 7 décembre 2009, puis d’une circulaire interministérielle en date du 25 juin 2010 et, enfin, par la mise en place, jusqu’au 31 décembre 2010, d’un médiateur pour les collectivités territoriales connaissant des difficultés dans la gestion de produits structurés risqués. Sur la situation particulière de la Seine-Saint-Denis, le Président de la République, dans son discours du 20 avril 2010, a rappelé que les responsables politiques ont un devoir d’exemplarité dans la gestion des affaires publiques et ce dans le respect de la loi. Il a également souligné que le représentant de l’État tirerait toutes les conséquences nécessaires qui résulteraient d’une situation préjudiciable à tout un département et à tous ses habitants. Au cas d’espèce, après l’adoption par le conseil général de Seine-Saint-Denis d’un budget primitif insincère, le préfet a strictement appliqué la loi et, en application de l’article L. 1612-5 du CGCT, a saisi la chambre régionale des comptes (CRC). Celle-ci disposait, à compter de cette saisine, d’un délai de 30 jours pour constater le défaut d’équilibre réel du budget et pour proposer les mesures nécessaires au rétablissement de l’équilibre du budget. C’est dans ce cadre que le 7 juin 2010 la CRC a rendu son avis et a notifié ses propositions au représentant de l’État et au conseil général de la Seine-Saint-Denis qui disposait d’un mois pour se prononcer. Par suite, le président du conseil général a porté à la connaissance de son assemblée délibérante les propositions de mesures de redressement faites par la CRC. Lors de sa séance du 25 juin 2010, l’assemblée délibérante du conseil général de Seine-Saint-Denis a rejeté ces propositions [1] et a maintenu son budget tel qu’adopté préalablement, le 8 avril 2010. La CRC a, dans un second avis en date du 16 juillet, constaté l’absence de mesures de redressement de la part de l’assemblée délibérante du département, en vue de régler le budget litigieux. Le préfet a donc réglé et rendu exécutoire le budget primitif du département par arrêté du même jour en retenant les propositions formulées par la CRC. Il faut préciser que, lorsque le budget primitif a été réglé d’office par le préfet, l’article L. 1612-9 [2]renforce le contrôle de son exécution en prévoyant la transmission du budget supplémentaire du même exercice par le préfet à la CRC et prévoit que le compte administratif doit être voté avant le budget primitif de l’exercice suivant. En tout état de cause dans cette situation comme dans d’autres, la loi a été strictement appliquée par l’État.

B - A l’initiative de Claude Barthelone une commission d’enquête est adoptée relative aux emprunts toxiques

Le 8 juin 2011, à l’Assemblée nationale, la demande de Claude Barthelone de création d’une commission d’enquête sur les emprunts toxiques a été adopté. L’intitulé exacte de la commission est le suivant : commission d’enquête visant à étudier les conditions dans lesquelles des emprunts et produits structurés, des contrats d’échange et d’autres produits financiers à risque s’inscrivant dans une gestion active de la dette ont été souscrits auprès d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, les entreprises publiques locales et les autres acteurs publics locaux, à déterminer l’encours qu’ils représentent, leur nature et leur impact sur les comptes publics, ainsi qu’à tirer les conséquences législatives et réglementaires de leur souscription.

L’explication de vote est particulièrement intéressante :

Explications de vote lors de la séance du 08/06/2011
M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe GDR.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, cette proposition de résolution prévoit, aux termes de son article unique, de créer une commission d’enquête visant à « étudier les conditions dans lesquelles des emprunts et produits structurés, des swaps et tout autre produit financier à risque s’inscrivant dans une gestion active de la dette, ont été contractés auprès des établissements bancaires par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, entreprises publiques locales et autres acteurs publics locaux, l’encours qu’ils représentent, leur nature et leur impact sur les comptes publics ainsi que les conséquences législatives et réglementaires que leur souscription pourrait entraîner ».

Les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de Gauche, pour signifier leur accord avec la création de cette commission d’enquête, ne participeront pas au scrutin. Conformément à la procédure prévue à l’article 141 de notre règlement, cela signifie qu’ils ne s’opposeront pas à la création de cette commission d’enquête.

Toutefois, ils entendent soulever plusieurs questions.

Pour commencer, nous estimons que le domaine d’étude choisi, celui des collectivités pour faire court s’il n’est pas inintéressant, n’en reste pas moins restrictif. Les entreprises et les particuliers sont également touchés par l’opacité et les dangers des produits structurés, dits toxiques. Il est vrai que la commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies vient de terminer ses travaux et que leur angle d’étude était plus ouvert, ce qui explique sans doute cette limitation. Mais, en ce domaine, adopter un champ d’analyse large nous paraît particulièrement nécessaire.

Par ailleurs, si l’on ne peut que partager l’objectif louable de faire un « état des lieux de la part des emprunts et produits structurés dans l’encours global des collectivités », l’exercice a ses limites.

Il n’existe malheureusement aucune centralisation précise de ces données, ni par l’État, ni par la Cour des comptes, ni par l’Autorité des marchés financiers, ni par les banques. En clair, une commission d’enquête ne disposera d’aucun moyen particulier pour procéder à cet état des lieux. C’est bien entendu regrettable.

Au sein de la commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies, notre collègue Jean-Pierre Brard avait posé le bon diagnostic. Les mécanismes spéculatifs expliquent en grande partie la récurrence et l’importance des crises économiques. La spéculation n’est que l’un des éléments constitutifs d’un paradigme économique, celui de l’efficience des marchés, dernier avatar du modèle capitaliste.

Bien des propositions ont été formulées afin de mieux réguler les marchés financiers et d’améliorer la supervision de leurs acteurs. Nombre d’entre elles auraient dû être appliquées depuis au moins deux ans.

Ainsi, la titrisation à outrance devrait être interdite. Concrètement, il ne devrait pas être possible de transférer plusieurs fois à des spéculateurs des actifs financiers tels que des créances en les transformant en titres financiers.

En outre, il faut lutter contre l’opacité des marchés financiers : la transparence des opérations financières est essentielle si l’on veut permettre aux États et aux citoyens de reprendre le contrôle de la finance.

Il est également urgent de créer des bases de données centralisées enregistrant toutes les transactions sur l’ensemble des dérivés de gré à gré en Europe. Cela permettra aussi de rendre enfin effective la taxation des transactions financières.

Quant au cloisonnement entre les activités des banques de dépôt et celles des banques d’investissement, il faut briser la résistance du lobby bancaire afin d’imposer les restructurations nécessaires et de créer un grand pôle public du crédit, grâce à la nationalisation de grandes banques.

La commission d’enquête devra donc pointer les responsabilités, dénoncer le comportement irresponsable des banques et proposer une refonte des règles de titrisation et des produits dérivés. Il faudra en revanche se dispenser de stigmatiser la gestion de telle ou telle collectivité : les élus locaux doivent rendre des comptes aux administrés, non aux élus nationaux.

En ce qui concerne la place et le rôle de l’État, on ne peut pas à la fois exiger la non-ingérence et attendre, à législation constante, une aide et des conseils spécifiques de gestion. Les collectivités sont désormais informées et conscientes des risques encourus : une circulaire interministérielle a été rédigée l’année dernière, relative aux produits financiers offerts aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics.

Enfin, il faut naturellement aller vers l’interdiction aux collectivités territoriales de souscrire les produits les plus complexes et les plus volatils, mais sans faire l’impasse sur l’étude de ces produits eux-mêmes, qui doivent être réglementés strictement.

M. le président. Pour le groupe SRC, la parole est à M. Claude Bartolone. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Claude Bartolone.Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise économique et financière a mis sous tension les budgets des collectivités territoriales ; elle a aussi eu un effet plus inattendu, en transformant des emprunts souscrits il y a plusieurs années en véritables bombes à retardement.

À compter des années 1990, le groupe Dexia, spécialisé dans le financement des collectivités territoriales, ainsi que de nombreux autres établissements de crédit – Calyon, filiale de financement et d’investissement du groupe Crédit agricole, le groupe Banques populaires-Caisses d’épargne, la Société générale, la Royal Bank of Scotland, la Deutsche Bank ou encore le groupe irlandais Depfa Bank – ont développé une offre de produits de financement structuré.

Les taux fixes étant alors élevés, les collectivités territoriales ont été séduites par la perspective de réduire la charge de leur dette. Certaines ont accepté de substituer à leurs prêts à taux fixe des prêts structurés à taux variable, aux mensualités de remboursement moins importantes, mais beaucoup plus risqués. Ces prêts ont en effet pour particularité d’être indexés, ce qui a pu entraîner, par exemple en cas de forte chute d’une monnaie par rapport à une autre, une augmentation exponentielle des taux d’intérêt.

À titre d’exemple, pour un contrat indexé sur la parité entre euro et franc suisse et souscrit en 2004 auprès de la banque Depfa par mon prédécesseur à la tête du département de la Seine-Saint-Denis, …

M. Charles de Courson. Prédécesseur et ami !

M. Claude Bartolone. … le taux de fixing serait aujourd’hui de 31,296 % aux conditions normales du marché. Lors du précédent fixing, en décembre dernier, ce taux avait déjà été porté à 24,208 %, contre 3,25 % la première année !

M. Régis Juanico. Scandaleux !

M. Claude Bartolone. C’est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe SRC, j’ai déposé le 5 mai dernier cette proposition de résolution, qui vise à créer une commission d’enquête sur les emprunts et produits financiers dits toxiques contractés auprès des établissements de crédit et des entreprises d’investissement par les administrations publiques locales.

Étant donné l’objet de cette proposition de résolution, la commission des Finances, compétente à la fois en matière de finances locales et de produits bancaires, en a logiquement été saisie. Elle a adopté la proposition au cours de sa réunion du 25 mai, suivant les conclusions du rapport que j’ai eu l’honneur de préparer.

Je crois important de rappeler que les risques inhérents à ces emprunts sont très mal connus. En effet, comme l’a souligné la Cour des comptes dans son rapport annuel pour 2009, il n’existe pour l’heure aucune évaluation globale de l’encours « toxique » des collectivités. Les prérogatives spécifiques dont dispose une commission d’enquête – droit de citation, pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place dévolus à son rapporteur, secret des travaux, moyens alloués à son secrétariat – permettraient à notre Assemblée de clarifier ces enjeux et de proposer les mesures grâce auxquelles l’État pourra, dans le respect du principe de libre administration, remédier aux difficultés des collectivités.

Voilà pourquoi mon groupe a usé de son droit de tirage et ainsi obtenu l’organisation du débat qui nous réunit aujourd’hui. Cette faculté reconnue par le règlement ne préjuge cependant pas de l’issue du vote en séance. Elle ne nous exonère pas non plus des conditions habituelles de recevabilité applicables à ce type d’initiative.

Pour qu’une commission d’enquête puisse être créée, trois conditions doivent ainsi être réunies : d’abord, la proposition doit déterminer avec précision les faits qui donnent lieu à l’enquête ; ensuite, elle ne doit pas succéder à une autre commission d’enquête ayant eu le même objet dans un délai de moins de douze mois ; enfin, il ne doit y avoir aucune procédure judiciaire en cours sur les faits qui donnent lieu à l’enquête.

La première exigence ne pose pas de véritable problème. Du reste, sur mon initiative, la commission des finances a légèrement précisé la rédaction de l’article unique.

La deuxième est également satisfaite, puisque la dernière commission d’enquête, créée il y a tout juste un an, portait sur un autre sujet : les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies.

La troisième exigence mérite quelques précisions. Dans tous les cas, y compris celui du droit de tirage, il appartient au seul président de l’Assemblée nationale de s’opposer à la demande d’inscription à l’ordre du jour s’il estime que les poursuites judiciaires en cours le justifient.

Or il est exact que plusieurs collectivités territoriales – le conseil général de Seine-Saint-Denis, que je préside, ou encore la ville de Saint-Étienne, honorablement représentée ici, …

M. Régis Juanico. Eh oui !

M. Claude Bartolone. … ont saisi en début d’année les juridictions civiles pour faire annuler certains emprunts contractés auprès d’établissements de crédit. J’estime néanmoins que ces procédures isolées ne remettent pas en cause la recevabilité de la présente proposition de résolution, dont l’objet est beaucoup plus large.

Au demeurant, dans la réponse qu’il a adressée en fin de semaine dernière au président de notre Assemblée, le garde des sceaux a indiqué, sur le fondement des informations transmises par les parquets à propos des procédures pénales, qu’il n’avait pas connaissance de poursuites judiciaires engagées sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition.

La dernière difficulté est ainsi levée. Aucun élément de droit ne s’oppose à la recevabilité de la proposition de résolution. J’espère également vous avoir convaincu de la gravité de la situation dans laquelle se trouvent plusieurs collectivités territoriales.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à permettre la création de cette commission d’enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Pour le groupe Nouveau Centre, la parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les effets de la crise financière et économique qui a frappé l’économie mondiale il y a près de quatre ans continuent de se faire sentir, mais les conséquences les plus perverses de ce cataclysme financier commencent seulement à se manifester.

Les emprunts hasardeux contractés par les collectivités territoriales il y a plusieurs années sont ainsi devenus, sous l’effet de la volatilité exceptionnelle des taux d’intérêt, de véritables bombes à retardement. Ce mécanisme imprévisible a accru la vulnérabilité de plusieurs collectivités territoriales dans un contexte budgétaire particulièrement tendu.

Des élus ont ainsi choisi de souscrire des emprunts hautement spéculatifs, dans l’espoir de bénéficier de faibles taux d’intérêt et, bien entendu, d’une baisse des frais financiers. Ils découvrent aujourd’hui que ces emprunts sont toxiques et qu’ils mettent en péril l’équilibre financier des collectivités dont ils ont la charge.

De l’aveu même de la Cour des comptes, il est encore difficile d’évaluer, même approximativement, la part de ces produits dits structurés dans l’encours de la dette des collectivités et établissements publics locaux. Les emprunts toxiques représenteraient environ 7 milliards d’euros, sur les 118 milliards d’euros de dette des collectivités territoriales.

C’est donc un véritable piège qui s’est refermé sur les gestionnaires et les élus locaux attirés par des taux d’intérêt très bas. Des collectivités comme la Seine-Saint-Denis, monsieur Bartolone, ou comme les villes de Lille, Saint-Étienne, Rouen, Laval, Saint-Maur-des-Fossés, Conflans-Sainte-Honorine ou Hénin-Beaumont…

M. François Rochebloine. Saint-Chamond.

M. Philippe Vigier.…ont souscrit des emprunts toxiques et en paient aujourd’hui les conséquences. D’autres collectivités sont également exposées, qui sortiront tôt ou tard de l’anonymat.

Face à cette menace pour la stabilité financière des collectivités locales, il ne s’agit pas de pointer du doigt telle ou telle mauvaise gestion ni de se renvoyer la balle les uns aux autres, mais plutôt d’établir les responsabilités et de réfléchir aux solutions qui pourraient être apportées au problème – bref, d’éviter que de tels dysfonctionnements se reproduisent.

Le Gouvernement a ainsi décidé que, dès cette année, les collectivités territoriales devraient indiquer, dans une annexe à l’état de leur dette, les encours de ces emprunts. Il a également prolongé la mission du médiateur chargé de faciliter un compromis entre les collectivités et les établissements dans les dossiers les plus difficiles.

Mes chers collègues, l’autonomie financière des collectivités locales est l’un des principes forts de la décentralisation ; vous savez combien nous lui sommes attachés.

M. François Sauvadet. Il a raison !

M. Philippe Vigier. Mais ce principe est inséparable du principe de responsabilité cher à notre collègue Charles de Courson.

Certains élus en appellent à l’État pour compenser des pertes dues à leur gestion financière hasardeuse ou menacent de faire voter des budgets en déficit, en toute illégalité ; je n’oublie pas que les mêmes élus n’ont eu de cesse d’invoquer le sacro-saint respect de l’autonomie financière lors du débat sur la réforme des collectivités locales.

M. Pascal Terrasse. Et la commission d’enquête Mariton sur la fiscalité locale, c’était quoi ?

M. Philippe Vigier. J’ai été un peu surpris, monsieur Bartolone, à la lecture de l’exposé des motifs de votre proposition de résolution. On croirait que la commission d’enquête a remis ses conclusions avant même d’avoir entamé ses travaux ! « L’État », écrivez-vous, « semble […] ne pas avoir joué son rôle de conseil et d’alerte. Ses services n’ont exercé ni leur pouvoir de contrôle de légalité ni celui de contrôle comptable. De même, l’Autorité des marchés financiers aurait pu se saisir d’une question qui entre directement dans son champ de compétences ».

Je le répète, nous sommes attachés au principe d’autonomie financière des collectivités, au principe de responsabilité et, tout simplement, à l’exigence d’une gestion sérieuse. Voter un budget, c’est une responsabilité, c’est un acte sérieux ; lever un emprunt, c’est un acte sérieux.

M. François Rochebloine. Bravo !

M. Philippe Vigier. Il appartient aux élus que nous sommes, lorsqu’ils exercent des responsabilités au sein des exécutifs locaux, de veiller à ce que les emprunts contractés ne mettent pas en péril la collectivité.

M. François Sauvadet. Bon principe !

M. Philippe Vigier. Cela étant, mes chers collègues, compte tenu de l’enjeu moral, économique et politique du débat, le groupe Nouveau Centre ne s’opposera pas à la création d’une commission d’enquête sur les emprunts toxiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. Régis Juanico. Très bien !

M. Jean-Jacques Candelier. Ils s’améliorent !

M. le président. Pour le groupe UMP, la parole est à M. Jean-Pierre Gorges.

M. Jean-Pierre Gorges. Monsieur le président, chers collègues, cette proposition de résolution fait suite à la constitution d’une association par plusieurs responsables locaux dont les collectivités ont contracté des emprunts dits toxiques. Il s’agit de l’association « Acteurs publics contre les emprunts toxiques », créée notamment par MM. Claude Bartolone et Henri Plagnol, et qui avait pour vocation d’aboutir à la création d’une commission d’enquête parlementaire.

Le problème des emprunts toxiques touche aujourd’hui un grand nombre de collectivités, de droite comme de gauche. Il expose les acteurs publics locaux à de réelles difficultés, car ce type de produits occupe une part désormais colossale dans la dette de certaines collectivités. Citons par exemple le conseil général de Seine-Saint-Denis, la ville de Saint-Maur-des-Fossés, la ville de Saint-Étienne, mais aussi des établissements publics, dont des centres hospitaliers, et de nombreuses petites communes.

Au lieu d’emprunts tranquilles à taux fixes – comme j’ai entendu tout à l’heure qu’on les trouvait en Ardèche (Sourires.) –, les banques se sont mises à inventer des formules à bien des égards proches des crédits de type subprimes qui ont conduit à la faillite des millions de ménages américains. Ces produits dits structurés présentent à très court terme des taux très avantageux, toujours très avantageux, mais qui peuvent vite déraper à cause de formules d’indexations sophistiquées.

Il faut remarquer cependant que certaines collectivités – j’en connais au moins une (Sourires.) – ont su profiter de ces contrats, et bénéficier de conditions de prêts extrêmement compétitives par rapport à des emprunts dits classiques, sur des périodes très intéressantes, et dégager des marges financières tout à fait conséquentes et vérifiables.

Pour d’autres en revanche, les indices sont devenus très rapidement volatils et les prêts très risqués.

Il convient donc de s’interroger sur les responsabilités des élus locaux qui ont contracté des emprunts toxiques – car ils ont signé ces contrats – ainsi que sur l’information dont ils disposaient lors de la signature des contrats.

M. Bernard Roman. Et sur les responsabilités des banquiers !

M. Jean-Pierre Gorges. Il existe en effet une responsabilité politique évidente dans la souscription de ce type de contrat.

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. Jean-Pierre Gorges. Les maires le reconnaissent aisément, surtout lorsqu’ils ont été contractés par une équipe municipale qui n’est plus en place, comme c’est souvent le cas.

Néanmoins, il ne fait aucun doute que certains élus ont été victimes d’abus de faiblesse, car ils ne disposaient pas de l’information nécessaire pour évaluer des risques à long terme. Ces processus sont en effet très complexes, et, la plupart du temps, les compétences manquaient dans les collectivités pour analyser précisément ce type de produits structurés.

M. Claude Bartolone. Très bien !

M. Jean-Pierre Gorges. Cette commission d’enquête n’aura pas vocation à régler des comptes – tout au moins je l’espère – mais à éviter que ces situations aberrantes ne se reproduisent. Il convient aussi de soutenir les collectivités en difficulté et de trouver des solutions adaptées. Mais il faut surtout empêcher que ce type de produits structurés ne perdure sans précautions et sans limites.

L’enjeu sera aussi de déterminer précisément le rôle de l’État dans cette affaire. En effet, en vertu du principe de libre administration des collectivités, l’État ne doit pas s’immiscer dans la gestion des affaires locales ; mais il conserve un rôle de conseil et d’alerte, qui semble en l’occurrence ne pas avoir très bien fonctionné. On peut enfin s’interroger sur le rôle de l’Autorité des marchés financiers, qui aurait pu réagir. Elle, au moins, possède les compétences nécessaires – ou alors il faut se poser des questions !

Les collectivités constituent des proies parfaites pour les banques qui ont proposé ces produits structurés : elles doivent faire face à des besoins de financement importants liés au niveau élevé de leurs dépenses d’investissement, toujours équilibrées bien sûr par la fiscalité ; et, à chaque fois, les collectivités concernés se trouvaient dans une situation délicate : ces produits paraissaient donc attirants. Elles sont de plus pour les banques une clientèle solvable, car elles offrent la garantie de l’État, cadre très protecteur pour des créanciers.

C’est donc légitimement que nous pouvons nous interroger sur le rôle de prévention de l’État, dans les dix dernières années environ.

Il faut souligner également que la réglementation française a favorisé l’essor de ces produits. Pourtant, une circulaire en date du mois de septembre 1992 fixe des conditions à la souscription de produits dérivés de taux d’intérêt par les collectivités. Mais les produits structurés sont apparus ensuite ; s’ils ont pu exister, c’est parce qu’ils combinent un emprunt classique avec un ou plusieurs produits dérivés, qui sortent du champ d’application de la circulaire.

Soulignons encore qu’aucun texte nouveau n’a été adopté depuis pour suivre l’évolution du marché. Paradoxalement, les contrats de produits structurés échappent donc à toute réglementation spécifique, alors même que la plupart des produits proposés sont contraires aux principes énoncés dans la circulaire de 1992.

Au mois de janvier 2009, notre collègue Marc Le Fur avait déjà appelé l’attention de l’Assemblée sur ces sujets, en déposant une proposition de loi qui proposait de compléter le budget des collectivités par un rapport circonstancié sur les emprunts. Elle proposait aussi d’élargir les compétences de contrôle des représentants de l’État dans les territoires, et notamment celui des chambres régionales des comptes sur les emprunts des collectivités.

M. Jean-Paul Bacquet. Il va falloir embaucher du personnel ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Gorges. À cette occasion, notre collègue rappelait les mesures annoncées par le Gouvernement, mesures dont il jugeait qu’elles allaient dans le bon sens, mais dont il regrettait qu’elles demeurent insuffisantes. Il mentionnait notamment la mise en place par les banques de typologies indicatives sur leurs différents produits, évoquait l’élaboration d’une charte des bonnes pratiques entre les banques et les collectivités, en soulignant que cette charte n’était pas contraignante.

M. le président. Merci de conclure.

M. Jean-Pierre Gorges. Il suggérait d’inciter encore davantage les exécutifs locaux à informer plus en amont les assemblées délibérantes des collectivités sur le niveau de risque des emprunts contractés.

Si vous approuvez la création de cette commission d’enquête – ce que je vous propose, ne serait-ce que pour faire cesser les discussions sur ce sujet, car sinon elles seront interminables –, elle devra d’abord établir un diagnostic clair sur ce qui s’est passé. Elle devra en définir les causes et établir les responsabilités.

Mais son travail ne saurait s’arrêter là. À ce constat nécessaire, il faudra ajouter des propositions utiles, définir des garde-fous pour éviter que pareille situation ne se reproduise.

M. le président. Merci.

M. Jean-Pierre Gorges. Cette commission devra également proposer des pistes nouvelles de bonne gouvernance financière des collectivités, qui permettent à celles-ci d’adapter leur action, et donc leur financement, au contexte financier instable que nous connaissons.

Avis favorable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Vote sur l’article unique
M. le président. Mes chers collègues, je vais maintenant mettre aux voix la proposition de résolution.

J’indique à l’Assemblée que la commission des finances a ainsi rédigé l’intitulé de la commission d’enquête : « commission d’enquête visant à étudier les conditions dans lesquelles des emprunts et produits structurés, des contrats d’échange et d’autres produits financiers à risque s’inscrivant dans une gestion active de la dette ont été souscrits auprès d’établissements de crédit et d’entreprises d’investissement par les collectivités territoriales, leurs groupements, les établissements publics locaux, les entreprises publiques locales et les autres acteurs publics locaux, à déterminer l’encours qu’ils représentent, leur nature et leur impact sur les comptes publics, ainsi qu’à tirer les conséquences législatives et réglementaires de leur souscription ».

C’est le titre. (Sourires.)

M. Bernard Roman. Y a-t-il un sous-titre ? (Sourires.)

M. le président. Je rappelle qu’aux termes de l’article 141, alinéa 3 du règlement, la demande de création d’une commission d’enquête est rejetée si la majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée s’y oppose, soit 346 voix. En outre, seuls les députés défavorables à la création de la commission d’enquête participent au scrutin.

Je soumets à l’Assemblée la demande de création d’une commission d’enquête.

Qui est contre ?

……………………………………………………………

M. le président. La majorité requise n’est pas atteinte. En conséquence, la demande de création d’une commission d’enquête est adoptée.

M. Claude Bartolone. Très bien !

M. Pascal Terrasse. Quelle ouverture d’esprit !

M. le président. Afin de permettre la constitution de la commission d’enquête dont l’Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l’article 25 du Règlement, avant le mercredi 15 juin 2011, à quinze heures, le nom des candidats qu’ils proposent.

La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.

[1Délibération n° 2010-VI-30 - Débat et vote sur les propos itions de la chambre régionale des comptes relatives au budget primitif 2010.
 DECIDE de rejeter les propositions de la Chambre régionale des comptes ;
 DECIDE de maintenir le budget primitif pour 2010 tel qu’adopté lors de sa séance du 8 avril 2010, par délibération n° 2010-IV-08/1 ;
 MANDATE le Président du Conseil général afin de poursuivre les démarches engagées auprès de l’État pour obtenir une juste compensation des transferts et extensions de compétences.

[2Article L1612-9 du Code général des collectivités territoriales
A compter de la saisine de la chambre régionale des comptes et jusqu’au terme de la procédure prévue à l’article L. 1612-5, l’organe délibérant ne peut se prononcer en matière budgétaire, sauf pour la délibération prévue au deuxième alinéa de l’article L. 1612-5 et pour l’application de l’article L. 1612-12.
Lorsque le budget d’une collectivité territoriale a été réglé et rendu exécutoire par le représentant de l’Etat dans le département, les budgets supplémentaires afférents au même exercice sont transmis par le représentant de l’Etat à la chambre régionale des comptes. En outre, le vote de l’organe délibérant sur le compte administratif prévu à l’article L. 1612-12 intervient avant le vote du budget primitif afférent à l’exercice suivant. Lorsque le compte administratif adopté dans les conditions ci-dessus mentionnées fait apparaître un déficit dans l’exécution du budget, ce déficit est reporté au budget primitif de l’exercice suivant. Ce budget primitif est transmis à la chambre régionale des comptes par le représentant de l’Etat dans le département.
S’il est fait application de la procédure définie à l’alinéa ci-dessus, les dates fixées au premier alinéa de l’article L. 1612-2 pour l’adoption du budget primitif sont reportées respectivement au 1er juin et au 15 juin. Dans ce cas, le délai limite de la transmission du compte de gestion du comptable prévu à l’article L. 1612-12 est ramené au 1er mai.