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Entretien exclusif avec Madame Françoise Grossetête, Députée Européenne, Vice Présidente du groupe du Parti populaire européen (groupe PPE).

vendredi 21 juin 2019, par synper

L’interview de Madame Françoise Grossetête a été réalisé par Vincent Callies, le mardi 4 juin 2019 au Parlement Européen, à Bruxelles, dans les bureaux de Madame la députée.

Lily :
A l’heure de cet interview, et depuis vos prises de fonction suite à votre élection du 1994, vous avez une expérience de 24 ans 10 mois et 14 jours en tant que députée européenne. On peut dire que vous savez de quoi vous parlez quand vous parlez d’Europe. Vous vous êtes engagée en tant qu’UDF, puis Les Républicains, pour soutenir lors des dernières élections européennes la liste de la République En Marche. On peut vous accorder que vous n’avez pas un regard partisan. Ce sont ces qualités qui nous invitent, en tant que syndicat européen, libéral et pacifique, à vous interviewer. Notre rêve, lors de la création du SYNPER, a été, et est toujours, de dégager une intelligence sociale et libérale. Quel était votre rêve lorsque vous vous êtes engagée en tant que députée européenne ?

Madame Françoise Grossetête :
“En réalité, je n’étais pas candidate à l’époque. Je n’imaginais pas que je pourrais être candidate. J’étais élue dans ma ville à Saint-Étienne et j’étais également conseillère régionale en Rhône-Alpes. Les listes étaient constituées de façon nationale à l’époque. La liste UDF-RPR était menée par Dominique Baudis. J’étais au Parti Républicain et donc au sein de l’UDF. La parité n’existait pas à l’époque et il n’y avait pas beaucoup de femmes et beaucoup trop de parisiens dans le projet de liste. Gérard Longuet y vit un danger et est intervenu. C’est ainsi que, ayant entendu parler de mon travail local, a proposé mon nom et que j’ai eu accès à une place éligible sans être candidate ! Vous me parlez d’un rêve, mais cela a été des considérations bien terre à terre qui m’ont amenée là. J’ai eu une chance inouïe.
Si tout m’orientait vers l’Europe - mes études de droit public et de sciences politiques, mes convictions libérales et mon engagement politique giscardien - je ne m’imaginais pas être députée européenne ! Et pourtant, le 1er avril 1994, Charles Millon me dit « Tu seras député européen ». Je me rappelle de la date, tellement ses propos m’ont marquée ! En arrivant ici, à Bruxelles, j’ai découvert que j’avais tout à apprendre. C’est une leçon d’humilité. La façon d’exercer un mandat de député européen est très différente de ce que l’on connaît, même quand, comme moi, on a déjà exercé d’autres mandats dans d’autres hémicycles. On arrive avec une fierté française que certains qualifient d’arrogance et on s’aperçoit que, parce que l’on est Français on n’a pas forcément raison ! Les autres députés, qui viennent d’autres pays, ont aussi leurs idées et il faut confronter nos idées. C’est une ouverture d’esprit extraordinaire. On est loin des querelles partisanes ; on est dans l’ouverture pour la recherche d’un intérêt européen.
Néanmoins, arrivée au Parlement, un de mes collègues, sortant mais réélu, me rappelle cette réalité des partis dont nous sommes issus : il me met en garde : « Françoise, ce n’est pas parce que tu travailleras, que tu auras la certitude la fois suivante d’être candidate ». Je lui réponds du tac au tac : « Et alors ? si cela ne doit durer que 5 ans, autant que je le vive pleinement ! » Et cela a duré 25 ans !
Pour répondre à votre question, j’ai donc vécu un rêve mais pas forcément comme vous l’imaginez ! Le rêve je l’ai petit à petit réalisé et je pars en le portant en moi encore plus ancré ; ce rêve européen qu’il faut absolument poursuivre parce que l’Europe est très fragilisée actuellement. Cette Europe est si merveilleuse ! Est-ce que nos concitoyens s’en rendent bien compte ? C’est surtout les autres qui nous disent combien nous avons de la chance ! Il y a quelques mois nous avons accueilli le premier ministre libanais qui nous disait à peu près : « je suis dans cet hémicycle du Parlement Européen. Est-ce que vous réalisez la chance que vous avez ? Vous êtes une construction qui n’a pas d’équivalent dans le monde et qui est enviée par tous ! » Donc nous sommes le rêve européen pour tous ceux qui n’en font pas partie. Et je veux continuer à passer ces messages pro-européens pour que le rêve européen soit perçu et compris par tous.”

Lily :
L’Europe est une création libérale. Elle est tout d’abord l’effort de « revivre ensemble » au lendemain de la seconde guerre mondiale des démocraties libérales sur la base de ce que Montesquieu appelait le « doux commerce ». Un projet réussi au regard des infortunes du projet des démocraties populaires (dont beaucoup ont fini par le rejoindre) et par la paix que l’Union Européenne a su apporter. Aussi, face à cet incontestable bilan positif comment expliquez-vous que les anti-libéraux, qu’ils se revendiquent d’un néo-communisme ou d’un national-socialisme revisité, puissent parvenir à autant la déstabiliser ?

Madame Françoise Grossetête :
“La crise de 2008, même si certains États membres ont plus souffert plus que d’autres – la Grèce, le Portugal, l’Espagne – a montré que l’Europe a mieux résisté que les autres parce que – justement – c’est un continent imprégné de libéralisme.
Mais la France a un problème avec ce mot. Que veut-il dire ? J’y vois ce mot liberté. La liberté d’entreprendre, de penser, de s’investir. C’est se responsabiliser. Au lieu que l’Etat soit omniprésent et vous dicte tout ce que vous devez faire, on lui demande de rester à distance pour créer l’espace nécessaire à l’exercice de notre liberté, pour nous donner l’oxygène dont nous avons besoin. C’est nous faire confiance ! La politique vient de l’humain. C’est lui qui construit la démocratie. C’est une construction humaine.
Mais cette liberté que l’Etat doit nous laisser est indissociablement liée à la solidarité. Il faut assurer l’égalité effective des chances d’exercer cette liberté. Or, certains, pour de très différentes raisons, doivent être aidés. Nous n’avons pas tous les mêmes chances. Parce qu’il y a les accidents de la vie. Parce que nous ne naissons pas égaux. Et notre liberté s’arrête où commence celle des autres.
Je ne sais d’ailleurs pas ce que l’on veut dire lorsque l’on parle d’ultra libéral, une critique assénée par ceux qui peinent à critiquer le libéralisme et cherchent à y trouver des postures caricaturales pour le discréditer.”

Lily :
Oui, le libéralisme de l’Union Européenne est dans cette protection dont vous parlez lorsqu’elle lutte contre l’abus de position dominante et contre les ententes illicites. C’est un libéralisme régulé.

Madame Françoise Grossetête :
“Mais le libéralisme doit être régulé ! Le libéralisme ce n’est pas : « on fait n’importe quoi ! ». Il y a des règles que l’on crée ensemble et, à l’intérieur de ces règles, on laisse la liberté d’entreprendre.
Il n’y a d’ailleurs pas d’incompatibilité entre la solidarité et la liberté d’entreprendre. L’exemple de la Suède est un bon exemple. Il n’y a pas de pays plus solidaire, et leur conception de la liberté d’entreprendre peut entrer en contradiction avec la mienne : je me rappelle les propos d’un de mes collègues suédois s’opposant à la France qui voulait faire reconnaître l’illégalité du dumping social - cette main-d’œuvre peu cher des pays de l’Est qui lui causait préjudice. Mon collègue suédois était pour le laisser-faire au nom de la liberté d’entreprendre. Il ne voulait même pas entendre les mots « dumping social ». Ce fut un échange assez surprenant et instructif ! On est dans le cœur du débat : celui des règles à créer ensemble, dans nos différences.
Ce qui m’irrite profondément en France, c’est que l’on ne sait pas ce que l’on met dans le mot libéral. Dès que l’on est libéral on vous dit ultra-libéral. Moi, je ne sais pas ce que cela veut dire ! Ou on est libéral ou on ne l’est pas. Mais je ne vois pas pourquoi on serait plus libéral qu’un autre ! Là aussi, c’est de l’idéologie pour s’opposer à tout esprit d’entreprendre et empêcher ce débat sur les règles que l’on se fixe ensemble.”

Lily :
Et dans l’entreprise ? Vous le savez, le SYNPER, est le seul syndicat libéral et que, de ce fait, nous sommes pour la rémunération du mérite, la meilleure reconnaissance de l’engagement professionnel, l’inclusion des contractuels et de leurs apports : des friches dans lesquelles ne vont pas travailler les syndicats traditionnels parce qu’ils sont trop dogmatiques.

Madame Françoise Grossetête :
"Effectivement, il faut faire comprendre à nos concitoyens que cet espace de liberté est le leur. Si on fait davantage confiance au salarié dans une entreprise, en lui donnant un peu plus d’initiative, avec des règles qu’il connaît et qu’il a débattues avec ses représentants, cela lui donne plus de liberté, il pourra ainsi faire son travail comme il l’entend et ensuite être évalué sur le résultat. C’est ça aussi, le libéralisme, c’est faire confiance en l’autre, et qu’il se responsabilise.”

Quand vous me parlez d’esprit forgé, j’ai fait une formation il y a deux ans de jeunes étudiants en journalisme. Quand ils m’ont posé des questions, elles étaient toutes très orientées, à gauche... Je me suis mise en colère. Vous vous rendez compte ? Vous voulez être journalistes ? Vous posez tous des questions dans un certain sens, qui appelle un certain type de réponses ? Je ne vais pas répondre dans votre sens, et je vais être cataloguée. Vous avez 22 ans, 23 ans et vous êtes complètement formatés ! Cela m’affole. "

Lily
Une des bases que nous apprenons à nos représentants, c’est que, quand ils rentrent négociation, qu’ils n’entrent pas avec des préjugés, mais avec la volonté d’avoir un diagnostic partagé. Parce qu’un fois qu’il auront ce diagnostic partager, alors ils pourront discuter des solutions et avoir des divergences éventuelles ou des consensus.

Madame Françoise Grossetête :
“Garder sa liberté de penser…”

Lily :
Deux groupes de programmes ont particulièrement contribué à étendre la taille du budget européen : les fonds structurels et les actions de politiques internationales. L’un de ces groupes assure la cohésion de notre ensemble, le second notre « vivre ensemble » avec les pays qui nous entourent. Or, notre économie est bousculée par deux migrations, celle interne et celle externe. Pour stabiliser l’Union Européenne, il faut travailler sur un développement durable, équilibré et pacifique. Ces nécessaires fonds seront-ils les premières victimes d’une rigueur budgétaire ? En effet, selon les estimations, le « trou du Brexit » (Brexit gap) causé par le retrait du Royaume Uni ne devrait pas dépasser 9 milliards d’euros en cas de Brexit dur et nettement moins si un accord était trouvé. Le projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027 présenté en mai par la commission prévoit de dépenser 1 279 000 0000 d’euros, soit, par an, 1,11% du RNB. C’est un budget que la Commission Européenne présente comme faible et en diminution (passant entre 1993-1999 et 2014-2020 de 1,28% à 1,16% pour atteindre 1,11% aujourd’hui). Est-ce que le Brexit va accélérer cette diminution de notre budget commun ?

Madame Françoise Grossetête :
"Les fonds structurels sont fait pour tirer vers le haut les pays les plus en difficulté ; en réalité, il s’agit même d’une approche région par région.
Les actions de politiques internationales contribuent à un développement efficace de pays qui sont des “pays tiers” mais qui sont des pays voisins, entre autres ceux d’Afrique.

Jean-Claude Juncker, il y a quelques mois, avait dit “il faut arrêter de voir l’Afrique comme un sous-continent ou un continent sous développé”. Il faut considérer l’Afrique comme un continent partenaire. Et ne plus parler d’aider au développement, méprisant, mais au contraire établir un nouveau partenariat d’égal à égal avec le continent. Il a annoncé une augmentation du budget en indiquant qu’en 5 ans il pouvait créer 10 millions d’emplois. On ne donne pas d’argent aux gouvernements mais on forme des cadres, des contremaîtres, des ouvriers. On ne prend pas l’emploi des africains, comme on peut le voir par certaines actions chinoises, mais on leur offre une richesse durable par des métiers. Créer de l’emploi local et veiller à ce que cela fonctionne de cette manière c’est bien plus compliqué que de verser de l’argent en fermant les yeux. Mais c’est mettre en valeur la liberté de ces pays qui ont beaucoup de potentiel. Par exemple, il y a des besoins énergétiques importants nécessaires au développement, et en face une ressource, le solaire, si abondante... C’est un continent riche avec une biodiversité extraordinaire, et nous avons bien besoin de la maintenir !

J’étais à fond derrière Jean-Claude Juncker et son projet. J’espère que le nouveau Parlement prolongera cette idée, mais il faut que nos dirigeants aient un esprit communautaire. Car le problème du Parlement, et cela répond directement à votre question, est qu’il vote les dépenses mais pas les ressources ! C’est le Conseil qui décide le montant du budget qui ne veut pas l’augmenter tout en demandant toujours plus à l’Union Européenne !

Comment voulez-vous que l’on réussisse sur une politique climatique, ou d’aide à la création de richesse en Afrique pour lutter contre le phénomène migratoire ! Mais surtout comment rester dans le trio de tête, avec les États-Unis et la Chine. Il ne faut pas rater les étapes cruciales des révolutions industrielle et sociétale. Pour créer les emplois d’aujourd’hui et de demain, la formation est la clé de voute. Il y a de très beaux métiers, et notamment le métier de mécanicien, dans le domaine spatial avec la construction de satellites par exemple. Mais il faut des dirigeants qui ne travaillent pas pour leur réélection mais pour le bien commun européen car le bien français passe par le bien européen - ce n’est pas possible autrement !

Ça, cela fait partie de mon rêve !"

Lily :
La mondialisation rend nos économies interdépendantes. Ce n’est pas nouveau. Dès la crise de 1929 et avec la catastrophique politique protectionniste adoptée par les États-Unis, on a pris la mesure du lien indissociable du commerce avec la mondialisation. Au delà des affaires, ce sont nos créations d’emplois que ce commerce assure. Nous avons besoin d’une Union Européenne forte pour défendre notre modèle social et nos emplois. Le silence des organisations syndicales françaises est sidérant. Elles ont même appelé, en France, à un vaste mouvement de grève le 9 mai, journée de l’Europe [1]et à l’issue des élections européennes. Seule le SYNPER a organisé un débat sur l’Europe et refusé cette instrumentalisation de l’échéance électorale. La France n’est-elle pas handicapée par son approche sociale se revendiquant de la Charte d’Amiens, de la lutte des classes et son hostilité au capitalisme ?

Le monde, après avoir connu une brève parenthèse avec la « fin de l’histoire », c’est-à-dire l’effondrement de la démocratie populaire et la démonstration du succès de la démocratie libérale, connaît un retour à l’instabilité, avec des replis narcissiques, ouvrant des guerres économiques, mais laissant aussi la possibilité à des guerres classiques. Un pays de l’Union Européenne a actuellement son territoire occupé par une puissance étrangère : Chypre. L’annexion de la Crimée par la Russie rend frileux de nombreux Etats Européens dont les Etats baltes. Pendant ce temps, l’OTAN se révèle un bouclier bien moins large que nous l’envisagions. Pourquoi dans ce contexte l’Europe de la Défense est-elle si difficile à émerger ?

Madame Françoise Grossetête :
La France ne cédera jamais sa place au conseil de sécurité, comme l’a demandé l’Allemagne [2]. Nous sommes la seule armée à pouvoir rapidement et efficacement faire face pour défendre les intérêts européens mais nous n’avons pas vocation à porter à nous seuls la défense européenne. Voilà le problème. J’ai écrit un article sur la relation franco-allemande dans un recueil de la fondation Schuman. Et je suis assez sévère dans mon bilan sur cette relation.

Ce qui est bien, c’est que nous avons un Président de la République qui s’engage. Il a raison.

On est dans un monde si instable ! Partout on voit des dictatures, des gouvernements populistes qui se mettent en place sur différents continents. Et on sait à quoi peuvent mener des gouvernements populistes !

On a vu le discours de Trump et on a compris qu’il ne fallait plus trop compter sur lui. Même si on a un certain nombre de nos collègues des pays de l’est ou du nord qui sont encore très attachés à l’OTAN, il est évident qu’en Europe, seule la France peut agir s’il se passe quelque chose de grave sur le continent.

Il ne faut plus que la France soit toute seule et c’est pour cela qu’il faut développer nos capacités. Le Fonds européen de défense a été fait pour cela. Et c’est aussi pour cette raison que l’Union Européenne a demandé que chaque Etat membre fasse un effort pour son budget de défense, certains partant de rien ou de pratiquement rien.

Ce n’est que comme cela que nous aurons de la crédibilité ! Il ne faut pas être naïf. Tout est rapport de force dans le monde dans lequel nous vivons. L’essentiel est que nous puissions assurer la sécurité de nos concitoyens sans utiliser nos armes les plus dangereuses.

Lorsque j’ai présenté le rapport sur le fonds européen de défense dans l’hémicycle de Strasbourg, mes collègues verts m’ont accusée de financer la guerre. J’ai répondu « Non ! On finance la protection et la sécurité des citoyens européens ! Tant mieux si l’on ne s’en sert pas ! ».

Quand on aura des drones européens qui éviteront à certains de nos militaires de sauter sur des mines, ce seront des vies sauvées. Va-t-on dire à nos soldats que l’on envoie sur le terrain, qu’ils vont se faire tuer parce que l’on ne veut pas financer cela ?

Ces discours d’idéologie des verts sont incroyables. J’étais ulcérée de ces discours !”

Lily :
Les verts ont eu de beaux instants en France, lorsqu’ils se sont déclarés neutres politiquement : il y avait Antoine Wester, Brice Lalonde… il y avait une posture très unique en europe de ces verts qui n’étaient pas rouges. C’est vrai qu’aujourd’hui il y a une radicalisation des Verts. Mais à ces élections européennes où les verts ne sont pas alliés à la gauche ou l’extrême gauche, ils ont à nouveau progressé en France.

Madame Françoise Grossetête :
“La plupart du temps dans ce dernier mandat les verts votaient avec l’extrême gauche et l’extrême droite. J’étais au premier rang de l’hémicycle et je le voyais bien. Il ne faut pas tromper l’électeur. Oui, les verts ont incité à porter un regard différent sur l’évolution de notre planète, le changement de notre planète, la nécessité de préserver la biodiversité. Mais aujourd’hui l’écologie appartient à tout le monde, ce n’est pas le seul flambeau des verts. C’est totalement faux et ça il faut bien le comprendre : l’écologie doit être transversale, elle doit se retrouver dans toutes les politiques que nous mettons en place.

Là, sur la défense, on a besoin d’assurer la sécurité et je répondais au verts : et les cyberattaques ? Quand vous avez en Allemagne des ministères qui sont attaqués, des banques, quand un jour nous aurons un réseau ferroviaire qui sera attaqué ou des compagnies aériennes avec des avions dans l’espace devenus subitement ingérables... Ce sont d’autres formes de guerre qui nous attendent. Il faut que nous ayons des satellites pour surveiller tout cela. C’est pour cela que la politique spatiale et la politique de défense sont liées.”

Lily :
La France fait un effort considérable sur Ariane, sur notre lanceur. On a l’impression que l’on est porteur d’ambition européenne mais que les autres ne suivent pas ; c’est rageant !

Madame Françoise Grossetête :
“Oui ! Historiquement nos collègues de l’Est sont encore trop axés sur l’OTAN, symétrique du pacte de Varsovie. Mais ils ont compris peu à peu - et Trump nous a beaucoup aidés ! Il aura fallu beaucoup de persuasion et de discussions. Après, au-delà de l’histoire, il y a des idéologies. Les socialistes allemands, par exemple, étaient contre par idéologie.

Il ne faut pas souhaiter qu’il se passe quelque chose de grave sur notre continent européen pour que cela ouvre les yeux de ceux qui sont encore réticents ! Je ne le souhaite pas ! Ce n’est pas faire peur à nos concitoyens que de leurs expliquer les dangers du monde dans lequel ils vivent. Mais en leur disant que l’Europe est un continent qui peut véritablement assurer leur protection, qui a les moyens de le faire, ils peuvent retrouver la confiance dans l’UE. C’est ce qu’il faut expliquer et que l’on n’a malheureusement pas assez expliqué dans la campagne électorale ”

Lily :
C’est ce que nous avons fait lors de notre réunion le 21 mai 2019, à la veille du scrutin. Nous avons vu, comme vous, le besoin d’un espace de réflexion sur les thèmes européens, un espace serein loin des guéguerres politiciennes, où l’on parle de la réalité de notre monde.
Ce qui était intéressant c’est autant ce que nous disions que ce que l’on nous disait :
Nous avions un ouvrier qui est parti de la salle en nous remerciant et en disant à un de nos responsables : “Tu m’as montré l’Europe comme je ne la voyais pas. Pour moi, c’était un truc inutile”. C’est tellement simple de montrer que c’est utile !
Nous avions aussi une autre réflexion troublante, celle d’une agente qui venait d’acquérir la nationalité française. En marge de notre réunion, un de nos responsables l’a interrogé pour savoir si la réunion lui avait plus. Elle a répondu par l’affirmative. Mais à la seconde question “Est-ce que tu vas voter ?” elle nous a répondu “Non. Qu’est-ce qu’ils me donnent en échange ?”. Là, les bras nous en sont tombés ! Quel processus l’acquisition de la nationalité a raté pour que l’acte citoyen fondateur qu’est celui de voter soit ainsi perçu ? Il y a pourtant des formations… Nous ne lui en voulions pas à elle mais bien à notre nation qui n’a pas pu transmettre cet acquis pourtant fondamental.

Madame Françoise Grossetête :
“Nos concitoyens sont parfois trop dans l’attentisme. Dans mon enfance, on me disait “Aide-toi et le ciel t’aidera.” Aujourd’hui on attend tout des autres, alors qu’on devrait se demander ce qu’on apporte, comment on contribue à cet ensemble, c’est ça la citoyenneté. En fin de compte, on ne fait plus comprendre aux gens ce que c’est d’être citoyen français et donc européen.

Dans ce parlement, pendant vingt-cinq ans, j’ai reçu énormément d’étudiants, de collégiens, de lycéens, même des petits de CM1 CM2, ce sont souvent les plus intéressants d’ailleurs, grâce au travail des enseignants. Chaque fois, je leur dis, vous êtes français, c’est déjà une grande chance. Mesurez déjà la chance que vous avez d’être français quand vous regardez un peu la télévision. Et parce que vous êtes français, vous êtes citoyens européens, c’est une autre chance, mesurez-la. On est trop peu nombreux à passer ces messages-là.”

Lily :
Les Régions françaises ont un rôle particulier dans le rayonnement de la politique européenne sur notre territoire. Si l’Europe fait de la Défense une de ses priorités, elles auront à informer les porteurs de projets. Beaucoup de dispositifs peuvent s’appliquer : ceux du projet européen Horizon 2020 sécurité, le Fonds pour la sécurité intérieure, ou les différents volets du fonds européens de défense (et notamment celui lié au développement et acquisition). Quel conseil donneriez-vous aux Régions pour déployer une stratégie efficace ?

Madame Françoise Grossetête :
“Je rencontre quelqu’un comme vous qui travaillez à la Région Île-de-France et qui a cette ouverture d’esprit et ce lien région / europe mais c’est très rare !

Les Régions ne sont européennes que parce qu’elles considèrent l’UE comme un tiroir-caisse. Elles n’attendent que les financements sans dire que l’Europe est à l’origine de ces projets.

J’ai présidé un parc régional pendant 19 ans. On savait aller chercher les financements européens, et on passait sans cesse le message. Combien de fois j’ai entendu des maires de petites commune rurale qui disaient, “on a eu le soutien de la Région et du Département, mais si on n’avait pas eu le soutien de l’Europe, on aurait jamais pu boucler le budget.” C’est le meilleur des témoignages.

Au mois d’avril lors d’une commémoration, je vois un Préfet qui me parle de la campagne européenne. Il était assez inquiet et me dit “c’est un problème ces régions car elles utilisent les financements européens mais oublient de dire d’où ils viennent !”
Je lui réponds : « Mais ça, Monsieur le Préfet, j’étais totalement opposée à cette décentralisation, c’est à dire au passage de la gestion de ces fonds structurels aux Régions, alors que je suis libérale ! Pourquoi ? Parce que je savais que là, nous avions des présidents de Région que l’on ne maîtrise pas toujours. Certains sont honnêtes et diront d’où vient l’argent. Ils sont peu nombreux. Les autres oublient volontairement de le dire et, dans ce cas-là, les citoyens européens ne savent pas du tout que l’Europe est présente partout : dans leur vie quotidienne, dans leur quartier, dans leur ville, dans leur campagne, dans leur territoire ! »

J’étais opposée à cette décentralisation, mais je savais que cela allait se faire... La gestion par l’Etat préservait pourtant une neutralité dans le choix des financements à apporter. Le Préfet était d’accord avec moi.

C’est pour cela que je suis très sévère envers les Régions. Alors si la Région Île-de-France procède autrement, tant mieux ! Mais je pense que c’est un cas rare... bien trop rare !

Si les Français se sont désintéressés de l’Europe c’est parce qu’on ne leur dit pas que l’Europe est présente et les soutient.

J’ai beaucoup travaillé sur les politiques de santé. Quand j’explique la valeur ajoutée de l’Europe pour notre santé, et que je donne des exemples précis, les auditeurs comprennent et sont agréablement surpris.

On pourrait être un pays très européen si chacun se comportait comme un vrai libéral, c’est à dire avec le sens de la responsabilité, et sache rendre à César ce qui est à César, c’est à dire valoriser aussi ce que fait l’Europe.

L’Europe ne réussit pas tout ; mais elle a fait beaucoup ! Nous avons des meilleures conditions de travail, une meilleure sécurité alimentaire, une meilleure recherche dans tous les domaines, nous avons un taux de croissance, peut-être insuffisant chez nous, mais plus important sur le continent européen, nous sommes un continent envié de tous.

Mais les citoyens européens ne le réalisent pas suffisamment ! Et c’est notre faute... la faute des responsables politiques et de ceux qui sont en gestion de cette France et de ses territoires. On a tous notre part de responsabilité.”

Lily :
Et les syndicats aussi…

Madame Françoise Grossetête :
“Et les syndicats aussi, bien évidemment !”

Lily :
L’Europe est créatrice de richesse et d’emploi. Au moment des élections européennes, les syndicats à l’unanimité ont déclenché une grève le 9 mai ! Si ce n’est pas une déclaration de guerre à l’Europe ! Plus une série de manifestation le lendemain des élections européennes. C’est scandaleux !

Madame Françoise Grossetête :
“Il faut parler de la valeur ajoutée européenne ! Les syndicats, et certainement le vôtre, ont un rôle à jouer. C’est essentiel.

À la fin du mois, je ne suis plus députée européenne ! Mais je vais essayer, modestement, de continuer à passer ces messages !”

Lily :
Nous n’en doutons pas. Et nous vous remercions pour cet interview simple, sincère, non conventionnel et très libre, comme aime la fourmilière !


[1Les syndicats CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, FA-FP, FO, FSU, Solidaires et Unsa ont appelé les agents de la Fonction Publique à se mettre en grève au niveau national le jeudi 9 mai 2019, journée de l’Europe.